l’IVG publicitaire d’Alcatel
- nico.crespy

- 26 mars 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 mai

En ce début des années 2000, alors que Serge Tchuruk, ce génie de « l’entreprise sans usines », continuait de dépecer Alcatel qui était encore un des fleurons de feu l’industrie française, Griffe Design faisait partie du pool d’agences référencées pour promouvoir ce géant des infrastructures télécoms et nous étions en charge de sa communication événementielle pour la sixième édition cannoise du GSM World Congress.
Cet événement mondial pharaonique se déroulait en effet à l’époque à Cannes, au Palais des Festivals et ses chapiteaux attenants, et il réunissait tout le gratin mondial des technologies télécoms dans une surenchère de moyens et une débauche financière qui, entre mégayachts, concerts privés de superstars et embouteillages de limousines, n’avait rien à envier au Festival du film ; tous les palaces de la Riviera affichaient complets malgré des tarifs indécents et c’est l’ensemble de l’industrie du tourisme de la Côte d’Azur, de l’hôtellerie à la restauration, en passant par les marinas jusqu’aux professionnels (et professionnelles) de la nuit, qui était en ébullition durant les 3 jours de l’évènement. Pour beaucoup d’ailleurs, ce fut la douche froide quand le salon migra à Barcelone en 2006.
Outre rétablir le leadership technologique de la multinationale qui commençait à vaciller, la problématique pour cette édition était d’affirmer auprès des opérateurs mobiles que ses infrastructures et solutions « end-to-end » de 3ème génération (UMTS) étaient déjà efficientes, prêtes à être déployées. Les « utilisateurs finaux » pourraient donc bientôt profiter des avancées et des nouvelles applis de la 3G en contrepartie bien sûr de nouveaux forfaits bien juteux.
Comme pour les autres salons, nous devions définir la thématique de campagne qui serait déclinée sur l’ensemble du dispositif JCDecaux, depuis l’aéroport - sur les abribus, billboards et autres 4x3 - jusqu’à l’énorme stand du salon. Un axe créatif parmi les quatre proposés en maquettes avait largement notre préférence car il combinait l’impact, la pertinence poétique du claim en parfaite cohérence avec le brief et surtout, une touche de provocation particulièrement appropriée au contexte et pour émerger dans cette immense foire B2B.
Le key-visual représentait, dans les dominantes orange propre à l’identité d’Alcatel, un fœtus dans le ventre de sa mère avec un téléphone mobile de la marque à l’oreille. L’accroche “The heart of your next generation network is already beating” fonctionnait parfaitement avec le visuel et formulait efficacement la promesse de l’équipementier télécoms (avec un subtil jeu de mot entre « heart et « core » - ou « backbone » - le cœur de réseau, pour les ingés et les plus geeks d’entre vous*).
Pourtant, lors de notre présentation enthousiaste dans une grande salle de réunion du siège et une fois passé un long moment suspendu de stupeur, le responsable de projet pour la marque (dont je tairais le nom) eut une moue dubitative :
— Ça ne va pas être possible !
— Ah bon, et pourquoi ?
— Parce que des études signalent que les ondes émises par les mobiles pourraient être nocives et donc, ce ne serait pas bon pour l’enfant : Nous n’enverrions pas une image très responsable sur le salon.
— Mais ce n’est pas un enfant, c’est un fœtus.
— Raison de plus !
Un peu interloqué, je m’apprêtais à lui rétorquer que ce qui serait surtout délicat, voire douloureux, serait de faire passer le téléphone au fœtus, mais je me ravisais, je n’étais pas sûr qu’il appréciât mon humour ; la campagne était mort-née, victime de l'IVG publicitaire d'Alcatel.
Les meilleurs concepts ne voient malheureusement presque jamais le jour et nous sommes donc partis sur une autre proposition, mais vous, pensez-vous qu’il aurait fallu accoucher de cette campagne ?
* Pour ceux qui sont moins « techniques », le cœur de réseau télécom – ou « core » - est responsable de la gestion et du routage du trafic de données de manière efficiente. Il traite les fonctions avancées telles que la commutation, le routage, la gestion de la bande passante, et assure la connectivité à grande échelle - par exemple, entre différentes régions géographiques ou entre différents réseaux de télécommunication. Grâce au cœur de réseau, les utilisateurs peuvent accéder à des services variés tels que la téléphonie, l'internet et la transmission de données multimédia, indépendamment de leur emplacement.


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